Gérard de Catalogne et l’édition canadienne-française : un Haïtien au centre d’une crise, 1941-1948

Gérard de Catalogne (1905-1974), journaliste franco-haïtien et propagateur d’idées fascistes, établit dans les années 1940 un réseau transatlantique singulier, faisant du Québec un trait d’union inattendu dans la circulation d’idéologies d’extrême droite entre Haïti, la France et la province canadienne. Mais comment ce fils du nord d’Haïti et ancien membre de l’Action française — l’étendard de l’extrême droite française pendant l’entre-deux-guerres — se retrouve-t-il au centre d’une crise touchant l’édition canadienne-française après la Seconde Guerre mondiale ? Alors qu’une forte migration haïtienne au Québec depuis les années 1960 a suscité un intérêt croissant pour les relations entre ces deux pôles de la « francophonie » en Amérique du Nord[1], le lien entre ces territoires à travers le prisme du fascisme au début du XXsiècle peut sembler insolite. Si ce billet n’est qu’une exploration préliminaire d’un sujet complexe et mérite une étude plus approfondie, il ouvre néanmoins la voie à une réflexion sur les échanges idéologiques et culturels entre Haïti et le Québec, loin des chemins régulièrement explorés.

Né au Cap-Haïtien d’une mère haïtienne et d’un père français, de Catalogne fut principalement éduqué en France, où l’homme dont les traits physiques lui permettaient « de passer pour blanc », pénétra de nombreuses organisations d’extrême droite française pendant l’entre-deux-guerres dont, nous l’avons dit, l’Action française. Ancien élève du lycée Louis-le-Grand[2], en 1924, le jeune adulte lance tour à tour deux revues fascistes, soit Faisceaux[3] et Fruits verts[4]. Fervent catholiquemalgré la fracture définitive entre le Vatican et l’Action française qui arrive en 1926[5], à la même époque, il travaille à la codirection du mensuel Les Cahiers d’Occident (1926-2930)[6], une publication associée à l’Action française et qui permet à de Catalogne de côtoyer d’autres jeunes intellectuels catholiques dans la défense d’un projet d’un monde et d’un Occident uni, latin et chrétien[7].

(De gauche à droite : Simone Ovide Duvalier, François Duvalier et Gérard de Catalogne. Haïti, 1968.  Source de l’image : Blogue — Lois de ma bouche.)

Au début des années 1930, Gérard de Catalogne est impliqué dans une série de scandales financiers. Il semble détourner des fonds destinés à l’édition[8], activité à laquelle il s’adonne depuis le début de la décennie. Ces événements le forcent à se distancer de ses anciens collègues et même à quitter la France. Il retourne alors dans son pays natal, Haïti, au moment où l’occupation américaine (1915-1934) prend fin. Ce retour marque non seulement une nouvelle phase de son engagement politique, mais inaugure également son influence croissante dans un espace atlantique de l’entre-deux-guerres, où les idéologies d’extrême droite trouvent un écho particulièrement favorable. 

De retour en Haïti en 1934, le Maurassien participe activement à la vie intellectuelle et mondaine du Cap-Haïtien et de Port-au-Prince. En plus d’être un véritable « passeur du maurrassisme en Haïti » comme le décrit Stieber (2012)[9], il est également un admirateur de Léon Daudet, autre grande figure de l’Action française et propose à ses compatriotes haïtiens des ateliers de conférences sur l’homme politique et de lettres français[10].

(Charles Maurras [1868-1952], France, 1937. Source de l’image : Wikimedia Commons.)
(Charles Maurras [1868-1952], France, 1937. Source de l’image : Wikimedia Commons.)

L’aisance avec laquelle Gérard de Catalogne semble avoir conquis la classe intellectuelle haïtienne peut, à première vue, surprendre. Si l’historiographie dominante des études haïtiennes s’est surtout concentrée sur la gauche pendant les premières décennies du XXe siècle[11], en particulier sur son positionnement farouchement antifasciste après le déclenchement de la seconde guerre italo-éthiopienne en 1935, des chercheurs comme David Nicholls (1975; 1979) et Michael Dash (1981) ont toutefois bien démontré que la quête d’une « âme » authentiquement haïtienne fut un thème récurrent dans la littérature et les écrits savants haïtiens des années 1920 et 1930[12]. Ce climat favorisa l’émergence de plusieurs périodiques « d’extrême droite » et pro-nationalistes[13], comme le groupe puis la revue des Griots, cofondée par le jeune François Duvalier en 1938. Selon Nicholls (1975), cette revue adoptait une approche biologique des différences raciales, rappelant les théories d’Arthur de Gobineau[14]. Cette dynamique complexe, où l’affirmation d’une identité nationale[15] et souvent raciale se mêlait à l’appropriation sélective d’idéologies étrangères (le fascisme), créa un terreau fertile pour la réception des idées de Gérard de Catalogne.[16]

Bien que le climat intellectuel en Haïti semble avoir été propice à l’influence grandissante de Gérard de Catalogne, ses actions concrètes au cours des années 1940 restent toutefois énigmatiques. Depuis l’étude spéculative de Bob Nérée (1988)[17], le travail important de l’historienne Chelsea Stieber (2012, 2020)[18] a largement éclairé notre compréhension de cet homme au parcours transnational. Cependant, les années de guerre (et même les années 1950)[19] demeurent encore trop peu explorées. Cette période d’intermission entre ses premières publications et son rôle ultérieur de conseiller auprès du dictateur François Duvalier (1957-1971) mérite une attention particulière[20].

Pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que l’édition française est paralysée, le Québec émerge comme un foyer alternatif pour la publication francophone[21]. Gérard de Catalogne saisit alors cette opportunité pour faire paraître certains de ses écrits, notamment sous les auspices des Éditions Bernard Valiquette (1938-1946) et des Éditions de l’Arbre (1941-1948). Aux Éditions Bernard Valiquette, il publie en 1941 le premier tome de Notre Révolution, une trilogie dont les sous-titres sont particulièrement évocateurs : Tragédie dans le monde (1941), Hommes et doctrines du XXe siècle (1941) et Entretiens dans la Tourmente (1944). Aux Éditions de l’Arbre, il publie Les Compagnons du spirituel en 1945. S’il reste un Maurassien, les influences de Gérard de Catalogne ne se limitent certainement pas qu’à l’extrême droite française. 

Dans Entretiens dans la Tourmente (1944), il vante particulièrement Salazar, l’homme fort portugais qui pour de Catalogne « personnifie un patriotisme[22] » inégalé jusque-là. Si en 1944, il concède la déroute des régimes mussolinien et hitlérien[23], il n’est pas pour autant un ami du régime démocratique. À son sens « la constitution de 1933 [du Portugal], qui repose sur un exécutif puissant, sur une représentation nationale, basée sur la famille, le syndicat, la corporation, la municipalité, nous apparaît comme la représentation même d’un idéal autoritaire dont chaque état a le plus urgent besoin.[24] » Cette citation, autant l’accent mis sur la famille que la corporation, pour ne nommer que ces deux éléments, demanderait certainement à être analysée. Nous nous contenterons ici de souligner que la lecture de Gérard de Catalogne révèle une forte adhésion à un modèle autoritaire, voire totalitaire, qu’il considère comme essentiel pour la constitution d’États fonctionnels. (Le rôle d’idéologue, que sera appelé à jouer de Catalogne sous le régime dictatorial de François Duvalier, paraît peut-être moins étrange lorsque l’on considère la philosophie politique du capois déjà dans les années 1940.) 

Dans Les compagnons du spirituel : Mauriac, Massis, Ducattillon, Rivière, Montherlant, Drieu, La Rochelle, Giraudoux, Proust, Daude — ouvrage qui suscitera de vives controverses après la guerre — l’auteur propose un récit semi-autobiographique. Il y explore ses multiples inspirations et dépeint l’effervescence culturelle et intellectuelle du Quartier latin à Paris durant l’entre-deux-guerres[25]. Outre les écrivains aux orientations idéologiques vastement divergentes mentionnés dans le sous-titre, l’ouvrage foisonne de récits personnels. Ces derniers laissent entrevoir les liens étroits, parfois même intimes, que Gérard de Catalogne a tissés avec ses figures littéraires qui ont façonné sa jeunesse. Il remarque par exemple comment « dans ce bureau où je travaille, mes regards se portent en ce moment sur les photographies de quelques amis de France ; il y a là Maurras, Bainville, Daudet, Mauriac, Marsan, Lacretelle, Massis et Colette.[26] »

Bien que l’ouvrage adopte un style plutôt fragmenté, sans progression strictement chronologique et accordant une attention inégale aux différents auteurs — sans justification explicite de l’auteur — il présente néanmoins une cohérence sous-jacente. En effet, pour de Catalogne, l’intellectuel, ici l’écrivain, a une mission particulièrement importante ; il note comment :

« …depuis un demi-siècle, en effet, que ce soit en France ou ailleurs, les lettres ont subi des transformations importantes ; parce qu’elles sont devenues le moyen essentiel de défendre des doctrines et des politiques, nous n’écrivons plus pour ‘les petites filles dont on coupe le pain en tartines’, pour remporter les succès matériels ou susciter les applaudissements des salons mondains ; écrire, cela fait partie aujourd’hui de notre chair et de notre sang, car nous y défendons, en même temps que l’avenir de nos enfants, celui de toute notre civilisation.[27] »

Ainsi, pour de Catalogne, l’acte d’écrire au milieu des années 1940 transcende le simple divertissement ou la quête de succès personnel. Il le conçoit comme une pratique ancrée dans une forme de militantisme, vouée à la défense d’un certain idéal civilisationnel, disons-le, occidental. L’écrivain se voit donc investi d’une double responsabilité, à la fois intellectuelle et morale.

Il est difficile de déterminer dans quelle mesure, lors de la publication de son livre en 1945, de Catalogne — pourtant bien informé des affaires politiques de son époque — était conscient de l’ampleur des atrocités perpétrées pendant la guerre. Comment a-t-il réagi au procès de Charles Maurras, qui s’ouvrait en janvier de cette même année[28] ? Par ailleurs, il reste incertain si les ouvrages publiés par de Catalogne au début et au milieu des années 1940 ont effectivement été rédigés à la même période. Était-il toujours résident du Québec en 1945, et si oui, quels étaient ses réseaux de contacts et fréquentations à cette époque ? Ces questions, cruciales pour une contextualisation précise de son œuvre et de son influence, demeurent pour l’instant sans réponse. Néanmoins, il est évident que de Catalogne était connu dans la sphère intellectuelle canadienne-française de son époque, bien qu’il soit aujourd’hui largement oublié.

Malgré un intérêt réel pour le maurrassisme au Québec pendant l’entre-deux-guerres[29], l’accueil des textes de Gérard de Catalogne par les journalistes et intellectuels canadiens-français est mitigé, oscillant entre une curiosité générale et des critiques plus sévères. Une annonce littéraire parue dans le journal Le Canada, édité à Montréal en avril 1946, décrit Les compagnons du spirituel (1945) comme « un livre fort intéressant » et « sans parti-pris[30] ». L’annonce souligne que de Catalogne aurait réussi avec cet ouvrage le pari difficile d’« écrire ses témoignages en surmontant plusieurs préjugés très répandus aujourd’hui » et affirme que « ’tout honnête homme’ qui veut comprendre notre temps se devrait d’avoir lu ce livre.[31] » Dans la Revue dominicaine, un organe de presse catholique de Saint-Hyacinthe, la critique publiée en octobre 1946 est beaucoup moins flatteuse[32]. L’auteur s’interroge sur le titre de l’ouvrage Les Compagnons du spirituel, car « grammaticalement, cela devrait désigner ceux qui accompagnent le spirituel, mais il est évident qu’il ne peut s’agir de cela.[33] » Bien plus que de déplorer un ouvrage au titre peu représentatif du sujet réellement abordé, l’auteur de la critique exprime son étonnement que : « …les éditeurs de l’Arbre, dont le goût fut à l’ordinaire si remarquable, aient pris sur eux de publier un ouvrage d’une aussi flagrante nullité[34]. » Cette appréciation sévère souligne non seulement les faiblesses perçues de l’œuvre, même de Catalogne, mais remet également en cause le jugement des éditeurs. 

La perception d’un manque de discernement éditorial constituera le point focal de la controverse opposant l’édition canadienne-française à plusieurs critiques françaises. Un article anonyme, publié le 8 mars 1946 dans la revue Les Lettres françaises[35], accuse les éditeurs québécois d’avoir diffusé des textes d’auteurs aux sympathies présumées fascistes[36], notamment ceux proscrits par le Comité national des Écrivains (CNE). Dans cette polémique, l’ouvrage de Gérard de Catalogne, Les compagnons du spirituel, ainsi que les Éditions de l’Arbre responsables de sa parution, font l’objet de critiques directes. Si de Catalogne est jugé comme un auteur « mineur » dans cette controverse[37], ce sont ses affinités manifestes avec des figures telles que Maurras qui rendent son ouvrage particulièrement répréhensible aux yeux du CNE. À l’heure de l’épuration et des grands procès amorcés en France après la libération en 1944, la publication d’ouvrages d’auteurs suspectés d’être des collaborationnistes soulève l’indignation du CNE[38].

En avril 1946, Robert Charbonneau, directeur des Éditions de l’Arbre et de la revue La Nouvelle Relève, amorce dans les pages de cette dernière une longue défense. Son argumentaire, qui se développera au fil des mois de cette controverse, porte, à ce stade-ci, sur la légitimité et le droit de publier divers auteurs français dont la pensée, indépendamment de l’adhésion à ses fondements, était représentative des courants intellectuels français d’avant 1940[39]. Ainsi, sans prendre position sur de Catalogne, ou les auteurs pour lesquels ce dernier manifestait une évidente admiration, Charbonneau parvient à recentrer le débat sur deux aspects principaux : d’une part, la pertinence de présenter un portrait représentatif des lettres françaises de l’époque et, d’autre part, la légitimité de publier des ouvrages témoignant de la diversité de la pensée intellectuelle française. Dans ce même élan, Charbonneau ne manquera pas non plus de souligner comment les Éditions de l’Arbre publièrent également des manuscrits d’auteurs de la Résistance[40].

Ce débat s’est prolongé jusqu’en 1948 dans les pages de La Nouvelle Relève, devenue la tribune de Charbonneau pour répondre aux accusations émanant de divers auteurs et organes de la presse française. Au fil du temps, le débat se prolongea sur la nécessité de revendiquer l’indépendance de l’édition canadienne-française face au monde éditorial français. Selon Elisabeth Nardout-Lafarge (1988), au cours de ces mois, voire années de discussions transatlantiques, l’argument de Charbonne finit par s’appuyer non seulement sur la conviction que les éditeurs canadiens-français devaient avoir la liberté d’éditer des ouvrages selon leurs propres critères, sans se soumettre aux diktats de la France, mais aussi sur la volonté de mettre en évidence comment cette controverse révélait que, dans l’esprit français, le Canada français continuait d’entretenir une relation de colonisé à métropole envers la France[41]. Pour Robert Dion (1988), cette « querelle », comme il l’appelle, entre certains intellectuels français et québécois, dans le second cas représenté presque exclusivement par Robert Charbonneau[42] et Berthelot Brunet[43], constitue un événement marquant dans l’histoire du processus d’autonomisation de la littérature québécoise moderne[44]. Elle reflète une affirmation croissante de l’identité culturelle québécoise distincte de celle de la France, position qui ne fait pourtant pas encore l’unanimité dans l’intelligentsia canadienne-française à l’époque[45].

En 1947, Charbonneau publia La France et nous, l’un des derniers ouvrages paru aux Éditions de l’Arbre avant sa fermeture définitive l’année suivante. Ce recueil présente une compilation des principaux articles qu’il a rédigés entre 1946 et 1947 sur le sujet. Comme d’autres maisons d’édition, les Éditions de l’Arbre verront une chute importante de leurs activités après la guerre. Si ce grand désaccord de 1946 à 1948, opposant l’édition canadienne-française à leurs critiques en France, se manifestait également autour de considérations économiques (la France voulant fermement reprendre le contrôle des droits d’auteurs et de la publication des ouvrages de ses nationaux), comme nous l’avons vu, il a rapidement pris un tour moral et politique, révélant ainsi des différences fondamentales entre plusieurs intellectuels des deux côtés de l’Atlantique.

* * *

Et Gérard de Catalogne dans tout cela ? Si en 1946, il est l’un des rares auteurs à être cité au-delà de la seule mention de son ouvrage, sa réaction face aux débats, qui ont émergé après la guerre, est difficile à déterminer. En l’absence de fonds d’archives exclusivement consacrés à sa personne, des recherches à travers ses ouvrages et correspondances existants pourraient aider à élucider sa position durant ce débat. On sait grâce au journal Haiti Sun, édité longtemps par Bernard Diederich (1926-2020), que de Catalogne a passé une grande partie des années suivant la guerre, notamment les années 1950, aux États-Unis, où il a été directeur du Bureau de Tourisme haïtien à New York. Par ailleurs, on ne sait pas s’il est retourné au Québec après ses aventures pendant la guerre (ou s’il y a même réellement séjourné malgré la publication de ses livres depuis la province).

            Au-delà de cette controverse « franco-québécoise », l’édition des livres de Gérard de Catalogne au Québec, faisant bonne mention d’auteurs jugés polémiques même à leur époque, soulève plusieurs points qui mériteraient d’être explorés. Elle confirme, entre autres, cette thèse de Stieber (2012) présentant de Catalogne comme un passeur du maurrassisme outre-Atlantique, incluant dans ce réseau aussi bien Haïti que le Québec. Dans le contexte canadien-français, elle soulève aussi des questions sur les fréquentations de Gérard de Catalogne. Ce catholique fervent avait-il entretenu des relations avec des figures comme Lionel Groulx (1878-1967), l’avatar du traditionalisme et nationalisme canadien-français pendant la première moitié du XXe siècle[46] ? De Catalogne comptait-il parmi ses connaissances Robert Rumilly (1897-1983), ce « béké[47] » martiniquais arrivé au Canada en 1928, qui ne s’est jamais détourné de son passé maurassien ? Pour une histoire des idées haïtiennes, particulièrement lorsqu’elle se centre sur l’époque de la présidence de François Duvalier (1957-1971), faut-il voir dans les ouvrages de Gérard de Catalogne, publiés avant et pendant la guerre, les bases intellectuelles du duvaliérisme, comme semble le suggérer Bob Nérée (1988) ? Tant de questions qui, pour le moment, restent sans réponses, mais qui semblent préparer les assises d’un projet d’une histoire croisée entre la France, le Québec et Haïti.


[1] Voir notamment à ce sujet Sean Mills, A Place in the Sun: Haiti, Haitians, and the Remaking of Quebec (Montreal: McGill-Queen’s University Press, 2016).

[2] Pour Jean-François Sirinelli, l’expérience de Gérard de Catalogne au lycée Louis-le-Grand fut édifiante. En effet, elle lui permit de créer des liens d’amitié importants avec de nombreux futurs collaborateurs pour ses revues à venir, telles que Faisceaux et Fruits vert. Jean-François Sirinelli, Génération intellectuelle: khâgneux et normaliens dans l’entre-deux-guerres, Paris, Fayard, 1988, 280-281.

[3] Dans les mots mêmes de Gérard de Catalogne, l’objectif de la revue Faisceaux était bien de défendre « le catholicisme, la tradition et la famille ». Gérard de Catalogne, Les compagnons du spirituel: Mauriac, Massis, Ducattillon, Rivière, Montherlant, Drieu La Rochelle, Giraudoux, Proust, Daude (Montréal: Éditions de l’Arbre, 1945), 9.

[4] Chelsea Stieber, « Gérard de Catalogne, passeur transatlantique du maurrassisme entre Haïti et la France », dans Doctrinaires, vulgarisateurs et passeurs des droites radicales au XXe siècle, éd., Olivier Dard (dir.), 1ère éd., Bern, Peter Lang, 2012, 8. 

[5] Si les mobiles précis de la condamnation de l’Action française varient selon certains auteurs, il semble que le nationalisme intégral et intransigeant de l’organisation était certainement au centre de cette rupture survenue officiellement en 1926. Voir à ce sujet Jacques Prévotat, « La condamnation de l’Action française par Pie XI », Publications de l’École Française de Rome 223 (1) 1996 : 359‑95 et Émile Poulat, « Le Saint-Siège et l’Action française, retour sur une condamnation », Revue française d’histoire des idées politiques 31 (1) 2010: 141‑59.

[6] Véronique Auzépy-Chavagnac, « À La Gazette Française, pendant l’entre-deux-guerres, le renouvellement d’une tradition catholique de droite », Transversalités: revue de l’Institut catholique de Paris 57 (mars 1996): 105.

[7] Stieber, « Gérard de Catalogne, passeur transatlantique du maurrassisme entre Haïti et la France », 8. 

[8] Ibid., 10.

[9] En référence au titre de l’article de Stieber « Gérard de Catalogne, passeur transatlantique du maurrassisme entre Haïti et la France ».

[10] Voir, Le Nouvelliste, « Au cercle Port-au-Princien les 9 et 11 avril prochains », Port-au-Prince, 20 mars 1936, 2.

[11] Voir au sujet de la gauche haïtienne au XXe siècle, Jean-Jacques Cadet, Le marxisme haïtien : marxisme et anticolonialisme en Haïti, 1946-1986, Collection Amériques : essai (Paris : Éditions Delga, 2020); Michel Hector, Syndicalisme et socialisme en Haïti : 1932-1970 (Port-au-Prince: Henri Deschamps, 1989) et Matthew J. Smith, Red & Black in Haiti: Radicalism, Conflict, and Political Change, 1934-1957, Red and Black in Haiti (Chapel Hill: University of North Carolina Press, 2009).

[12] J. Michael Dash, Literature and Ideology in Haiti, 1915 1961 (New York: Palgrave Macmillan Springer, 1981); David Nicholls, « Idéologie et mouvements politiques en Haïti, 1915-1946 », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations 30, no 4 (1975): 654‑79; David Nicholls, From Dessalines to Duvalier: Race Colour, and National Independence in Haiti (Cambridge: Cambridge University Press, 1979).

[13] Des revues (quoique éphémères) comme La Lanterne lancée en 1936 au Cap-Haïtien par Auguste et Charles de Catalogne, cousins de Gérard de Catalogne, ou encore Psyché fondée l’année suivante qui, en plus d’un anticommuniste très affiché, articulait aussi une vision d’un monde social et politique basé sur l’ordre, la discipline et la vénération de la nation, ce qui témoigne de l’ampleur de cette tentation fasciste dans la pensée haïtienne de l’époque. Chelsea Stieber, « Camelots du roi ou rouges : radicalization in early twentieth-century Haitian periodicals », Contemporary French Civilization 45 (1 avril 2020): 60.

[14] Publié pour la première fois en 1853, Essai sur l’inégalité des races humaines d’Arthur de Gobineau est aujourd’hui considéré comme un texte central de la littérature appuyant les théories du racisme scientifique au XIXe siècle. En 1885, l’anthropologue haïtien Anténor Firmin publie De l’égalité des races humaines, où il réfute une grande partie des thèses avancées par Gobineau. Voir Robert Bernasconi, « A Haitian in Paris: Anténor Firmin as a philosopher against racism », dans Naming Race, Naming Racisms (London : Routledge, 2009), 31-50.

[15] Pour ne pas alourdir le texte, nous n’aborderons pas ici les mouvements indigéniste et noiriste, qui sont au cœur d’un nouveau projet culturel et politique en réponse à l’ingérence américaine en Haïti durant les années 1920, 1930 et 1940. Les lecteurs intéressés peuvent se référer à l’excellente étude de Smith (2009) pour plus de détails.

[16] À cette époque, plusieurs figures conséquentes de la classe politique et intellectuelle haïtienne, dont le futur président Sténio Vincent (1930-1941) et l’historien Louis Mercier, admirent ouvertement dans leurs écrits Charles Maurras. Voir Stieber, « Gérard de Catalogne, passeur transatlantique du maurrassisme entre Haïti et la France », 10.

[17] Bob Nérée, Duvalier : le pouvoir sur les autres, de père en fils (Port-au-Prince: Henri Deschamps, 1988).

[18] Chelsea Stieber, « “Camelots du roi ou rouges”: radicalization in early twentieth-century Haitian periodicals », Contemporary French Civilization 45 (1er avril 2020): 47‑69 et Chelsea Stieber, Haiti’s Paper War: Post-Independence Writing, Civil War, and the Making of the Republic, 1804–1954 (New York: NYU Press, 2020).

[19] Dans les années 1950, de Catalogne s’implique dans plusieurs activités. En plus de l’édition, qui semble être son principal centre d’intérêt depuis son retour en Haïti en 1934, il occupe également un poste de direction au Haitian Tourist Center à New York au début des années 1950. Voir Bernard Diederich, « Haiti this week », Haiti Sun, 4 février 1954.

[20] En 1957, de Catalogne est rédacteur en chef du journal Nouveau Monde qui sert éventuellement d’organe de propagande pour le gouvernement duvaliériste. Dans les années 1960, l’ancien Maurrassien se recycle en l’un des maîtres à penser du mouvement duvaliériste, une doctrine qui, paradoxalement, prétend représenter les masses noires haïtiennes. Directeur de l’Office National du Tourisme et de la Propagande, de Catalogne est également l’éditeur des Œuvres Essentielles du Dr François Duvalier, quatre tomes parus à partir de 1966, qui réunissent l’essentiel de la pensée et des discours de François Duvalier.

[21] Elisabeth Nardout-Lafarge, « Autonomie littéraire et rupture symbolique : le Québec et la France, 1940-1950 », Revue Littératures / Université McGill, no 1 (1988): 128.

[22] Gérard de Catalogne, Notre révolution : Entretiens dans la tourmente, 3 vol. (Montréal: Éditions Bernard Valiquette, 1944), 112.

[23] Ibid., 115.

[24] Ibid., 115.

[25] Gérard de Catalogne, Les compagnons du spirituel : Mauriac, Massis, Ducattillon, Rivière, Montherlant, Drieu La Rochelle, Giraudoux, Proust, Daude (Montréal: Éditions de l’Arbre, 1945), 14.

[26] Ibid., 231.

[27] Ibid., 11.

[28] Cette interrogation sur l’emplacement géographique précis de Gérald de Catalogne durant l’ensemble de la guerre (1939-1945) revêt une importance particulière compte tenu du fait que, plusieurs auteurs français dont les ouvrages furent édités au Québec pendant cette période, résidaient en réalité aux États-Unis, notamment à New York. Bernard Valiquette, directeur des éditions Bernard Valiquette, effectua lui-même plusieurs déplacements aux États-Unis pour rencontrer ces auteurs français et coordonner la publication de leurs textes au Québec. Il convient de se demander si de Catalogne, manifestement plus français qu’haïtien, faisait partie de cette communauté d’exilés. Des recherches supplémentaires sur ce point s’avèrent nécessaires. Pour plus d’informations sur l’édition canadienne-française et les exilés français à New York, voir Nardout-Lafarge, « Autonomie littéraire et rupture symbolique », 127-129.

[29] Pierre Trépanier (1999) et Olivier Dard (2007) ont tous deux présenté des analyses détaillées sur l’influence du maurrassisme au Canada français avant la Seconde Guerre mondiale. Bien que leurs conclusions diffèrent quant à l’étendue de cette influence, ils s’accordent à souligner la nécessité d’une approche nuancée. Si quelques cas isolés d’admirateurs fervents du maurrassisme existent, le Canada français ne peut pour autant être considéré comme un simple relais de ce courant d’extrême droite. L’intérêt pour les idées de Charles Maurras, notamment chez des figures comme Lionel Groulx (1878-1967), se manifestait principalement à travers une affinité pour le traditionalisme et le nationalisme, un intérêt souvent tempéré après la condamnation de l’Action française par le Vatican en 1926. Voir Pierre Trépanier, « Le maurrassisme au Canada français », Les Cahiers des dix, no 53 (1999): 167‑233 et Olivier Dard, « De la rue de Rome au Canada français: influences ou transferts? », Mens: revue d’histoire intellectuelle de l’Amérique française 8, no 1 (2007): 7‑66.

[30] « Le spirituel », Le Canada, avril 1946, 5.

[31] Ibid. 

[32] À noter que ce compte rendu du livre est publié après le début des tensions entre l’édition canadienne-française et ses détracteurs en France, un débat, comme nous le verrons, qui commence en mars 1946.

[33] G.-M. Lussier, O. P, « Les Compagnons du spirituel », Revue dominicaine 52, no 3 (octobre 1946): 188.

[34] Ibid., 189.

[35] Andrée-Anne Giguère, « Les écrivains de La Relève et la pensée romanesque : critique et pratique du roman chez Robert Charbonneau, Robert Élie, Jean Le Moyne et Hector de Saint-Denys Garneau » (Thèse de doctorat, Québec, Université Laval, 2016), 66.

[36] Robert Dion, « La France et nous après la Seconde Guerre mondiale. Analyse d’une crise », Voix et Images 13, no 2 (1988): 293.

[37] Elisabeth Nardout-Lafarge, « Le champ littéraire québécois et la France, 1940-50 » (Montréal, McGill University, 1987), 194.

[38] Ibid., 193.

[39] Dion, « La France et nous après la Seconde Guerre mondiale », 293.

[40] Nardout-Lafarge, « Le champ littéraire québécois et la France, 1940-50 », 138.

[41] Ibid., 139.

[42] Bien que Charbonneau soit l’un des rares éditeurs à réagir avec autant de vigueur aux critiques émanant des Lettres françaises et d’autres voix s’élevant contre les éditeurs canadiens-français, son intervention n’en est pas moins significative. Si sa réaction en 1946 est certainement motivée par le fait qu’il soit directement mis en cause dans la controverse, il convient de noter que dès 1944, Charbonneau avait participé à la création de l’Académie canadienne-française. Cette implication lui conférait une certaine autorité dans les questions relatives aux belles-lettres et à l’industrie de l’édition au Québec. Voir « Robert Charbonneau | Bibliothèque québécoise », consulté le 1er  octobre 2024.

[43] Berthelot Brunet (1901-1948), lui aussi écrivain, collabora avec les Éditions de l’Arbre notamment pour la parution de son ouvrage Histoire de la littérature canadienne-française en 1946, mais aussi dans la revue Les Lettres françaises.

[44] Dion, « La France et nous après la Seconde Guerre mondiale. Analyse d’une crise », 292.

[45] Marc Bergère, Vichy au Canada : L’exil québécois de collaborateurs français, Histoire (Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2015), 54.

[46] On sait, par exemple, que l’un des volumes de Notre Révolution, publié en 1941 et 1944 aux éditions Bernard Valiquette, se retrouve dans la collection personnelle de Lionel Groulx. Plus de recherche permettra de mieux comprendre le contexte de cette présence dans la collection du prêtre et intellectuel québécois. Voir « Notre Révolution/Fondation Lionel-Groulx », consulté le 1er octobre 2024, https://fondationlionelgroulx.org/bibliotheque/notre-revolution.

[47] Dans le contexte antillais français (notamment martiniquais et guadeloupéen), les békés sont des Blancs créoles descendants des premiers colons européens, généralement esclavagistes. Historiquement, les békés ont formé l’élite économique et sociale de ces territoires. Le terme a largement une connotation négative aujourd’hui. Voir à ce sujet Pierre Guillaume, « La résistance du pouvoir béké à la démocratisation de la société antillaise », dans Élites et crises du XVIe au XXIe siècle (Armand Colin, 2014), 291‑300.


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